Bonjour Arthur, pour ta deuxième mise en scène au Public, nous aurions aimé que nos spectateurs puissent faire ta connaissance. Peux-tu nous dire ce que tu as envie qu’ils sachent de toi ?
Oh là là, quelle question… c’est très bizarre de devoir parler de soi comme ça. Je n’aime pas trop parler de moi. Mais j’aime bien Michel (Kacenelenbogen) et je veux bien parler de lui. C’est un copain et je suis content d’être ici et d’avoir l’occasion de travailler avec des gens que j’aime. Lui et moi, nous avons la même vision du théâtre. Ce qui nous motive ce sont les spectacles qui arrivent à être populaires sans être populistes. Ce que les Chiche Capon, ce trio de clowns modernes, appellent des spectacles intelligents pour les gens qui n’ont pas envie de réfléchir. Une forme de culture indolore, en quelque sorte, qui percole les spectateurs sans qu’ils aient trop d’efforts à fournir. J’adore divertir les gens et qu’ils sortent avec un quelque chose en plus. Si à l’issue de la représentation, les spectateurs ont envie de parler de ce qu’ils ont vu, d’échanger et d’y réfléchir, je pense que j’ai réussi quelque chose. Comme Michel, je suis comédien, metteur en scène, directeur de théâtre. Ça aide à se comprendre, on parle le même langage. On est passionnés par l’univers du théâtre dans son ensemble. On aime tout, des projecteurs à la tournette, en passant par les acteurices, bien sûr. Dans Le Dieu du carnage, nous avons la chance de travailler entre gens passionnés. La rencontre est aussi riche au niveau artistique qu’au niveau humain. Je suis arrivé pour la première fois au Public grâce à Tania (Garbarski) et Charlie (Dupont) que j’avais mis en scène dans Les émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris et Philippe Blasband. Cette fois, je reviens dans Le Dieu du carnage avec une toute autre équipe et un tout autre univers et j’espère avoir l’occasion d’en mettre encore bien d’autres en scène.

Nous sommes en effet bien loin de l’univers tendre et décalé des Émotifs anonymes, quel est ton rapport à l’œuvre beaucoup plus cynique et désabusée de Yasmina Reza ?
Reza est magistrale ! Je suis encore trop jeune, mais un jour je jouerai Art, j’en suis certain ! J’ai toujours été fasciné par cette écriture qui semble d’une évidence et d’une simplicité absolue, mais qui est nourrie et réfléchie derrière chaque réplique. Yasmina Reza est une grande, grande autrice. Dans mes mises en scène, en général, j’adore les trucs qui bougent, qui vont dans tous les sens, mais ici, tout se trouve dans les dialogues, et même s’il y a une tournette sur le plateau qui nous fait voir en permanence la scène sous ses différents angles, il faut se centrer sur le jeu des acteurices. On ne doit rien rater de leurs échanges. Le but est de faire rire les spectateurs, mais aussi qu’ils se demandent si au fond, ils ne ressembleraient un peu à ces gens, là, sur scène.

Et toi, trouves-tu que tu leur ressembles ?
Moi ? J’espère pas ! Mais, c’est bien connu, souvent, on ne se rend pas compte d’à qui on ressemble. C’est la parabole bien connue de la paille et de la poutre. Le théâtre sert à faire réfléchir et, qui sait, parfois à changer. Ces deux couples sont assez simples, ils sont juste modelés par la vie. On pourrait être ces gens-là, même si on espère ne pas l’être. Tout en riant, nous les observons se voiler la face, s’enfermer dans leurs certitudes et, sous des dehors d’ouverture d’esprit, ne laisser aucune chance à leurs enfants respectifs. L’idéal serait de sortir de la salle en se disant que le monde tournerait quand même mieux si on cessait de vouloir régler les problèmes des autres avant d’avoir balayé devant notre porte et réglé les nôtres.

Le Dieu du carnage est une partition précise qui monte crescendo, comment aborde-t-on un texte pareil ?
En travaillant avec les acteurs, beaucoup, en répétant jusqu’à ce que chaque intonation, chaque geste soit maîtrisé et tombe au moment parfait. En gardant aussi tout le temps à l’esprit les enjeux de chaque personnage. Encore plus que dans d’autres textes, dans une pièce comme celle-ci, il est essentiel que les acteurices soient tendus en permanence. Tu parles de partition et c’est tout à fait ça. J’ai quatre instruments virtuoses face à moi qui sont les comédiennes et les comédiens, et moi, j’orchestre leur jeu. 
En général, je travaille sur des créations où tout est à inventer. Ici la pièce existe, elle a été jouée de nombreuses fois, elle a plus que fait ses preuves, on sait à quel point elle est efficace et elle fonctionne, donc, si ce n’est pas le cas de notre version, il n’y a pas à se trouver d’excuses, c’est notre faute.

Y a-t-il une anecdote belge que tu aurais envie de nous partager ?
Là, il y en a une qui me revient à l’esprit même si elle n’a rien à voir avec le théâtre.
Quand j’étais môme, à 10 ans, avec l’école, on avait fait un échange avec des élèves belges. Ils étaient venus quelques jours chez nous et nous chez eux. Avec un copain de la classe, on logeait tous les deux au même endroit. Pour être gentille avec nous, la famille qui nous accueillait nous a emmenés au MacDo et quand on a vu les prix affichés, on était scandalisés par les sommes qu’on trouvait exorbitantes. De peur qu’ils se retrouvent sur la paille pour nous avoir offert un hamburger et un soda, on a fait tout un scandale. Pauvres petits français au grand cœur que nous étions, nous n’avions à l’époque aucune idée que les francs belges et français étaient différents.

Propos recueillis par Deborah Danblon.

A VOIR : Le Dieu du carnage du 17.05 au 18.06.23