Philippe, on dit de toi que tu serais l’auteur le plus joué au Public, qu’en est-il réellement de ton histoire avec notre théâtre ?
Le plus joué, le plus joué, il faudrait quand même vérifier l’info. Je me demande même si ce n’est pas moi qui ai fait courir un bruit et que d’autres l’ont répété. Mais il est vrai que notre collaboration remonte à il y a un bon bout de temps. Au moment où je suis sorti de l’INSAS, pour être exact. J’étais pote avec Philippe Rangoni avec qui j’avais fait mes études. Un jour, je le croise et il me raconte qu’un certain Michel que je ne connaissais pas allait ouvrir un théâtre privé. À l’époque je collaborais déjà pas mal avec le Sainte Anne de Serge Rangoni et Benoit Vreux. Dans ce cadre-là, José Besprosvani m’a demandé de leur écrire un texte pour une chorégraphie !? Je n’ai pas bien compris ce que ça signifiait, mais, j’étais jeune, j’avais envie de bosser, donc, pas de problème, j’écris quelque chose. Après avoir lu ma production, mes comparses me disent que j’ai plutôt pondu un texte de théâtre !? Et eux, du théâtre, à l’époque, ils n’en faisaient pas. José a donc proposé ce projet au Public qui venait de naître. Et voilà en résumé, le début de toute notre collaboration. Lors de la deuxième saison, ils ont programmé ma pièce L’invisible, avec Pietro Pizzuti qui a plutôt bien marché et est même parti en tournée.
J’avais un pied dans la porte. Cela étant, il n’y a jamais eu de plan de carrière entre nous, les choses se sont faites pièce par pièce. Chaque fois, la vie me ramenait au Public.
D’autres fois, l’intérêt est venu de Michel et de Patricia comme ce fut le cas pour Une liaison pornographique, ensuite, c’est moi qui arrivais avec un projet personnel. Entre autres Les aventures de Simon Rapoport guerrier de l’espace, un insuccès total ! Et pourtant, j’étais certain qu’avec un titre pareil, on ferait salle comble. Ce fut le flop ! Je crois, sans me vanter, que c’est même un des plus gros insuccès du Public. Michel en a d’ailleurs été très fâché et déçu, mais heureusement pas contre moi. Il a pris cet échec comme un affront personnel et m’a alors commandé une autre pièce avec la même équipe, Aylin et Benoit Verhaert, Les témoins. Par chance pour moi, celle-là a fonctionné. À Bruxelles, le public a adhéré, puis le spectacle est parti à Avignon et il a ensuite tourné en France où il a sympathiquement marché.
Comment est née l’amitié entre Michel, Patricia et toi ?
La relation s’est tissée naturellement, nous sommes devenus amis petit à petit, à force de travailler ensemble. Les choses ont été simples, on s’est toujours bien entendus, on s’appréciait comme on était. C’est d’abord moi qui ai collaboré avec le Public, puis Aylin, ma femme, a joué avec Michel, ils sont partis en tournée. Ce genre d’aventure, quand ça se passe bien, crée souvent des liens forts. J’ai donc, dans un premier temps, découvert la personne derrière le directeur par ma femme. Parfois, tu as l’impression de connaitre quelqu’un, mais quand tu entres dans son quotidien, tu perçois la multiplicité du personnage. Grâce à Aylin, j’ai découvert la douceur de Michel, une bien jolie surprise.
Je leur ai à tous les deux fait jouer des petits rôles au cinéma. Et, puisqu’on est entre nous, je vais vous confier un rêve, un rêve dont Patricia n’est même pas au courant, mais je voudrais vraiment lui confier un grand rôle au cinéma.
À propos de cinéma, n’était-ce pas le point de départ de ce qui a donné L’album photo ?
Oui et non, en fait. Pendant le confinement, avec Aylin, Cachou (Kirsch), qui est l’assistante sur ce spectacle, Jeanne (Kacenelenbogen), Florence (Roux) et plein d’autres comédiens encore, on a tourné un film. On l’a réalisé avec les moyens du bord et sans se voir, bien sûr. Chacun avait deux caméras. Une pour se filmer et une pour communiquer avec les autres. À un moment du scénario, on avait besoin d’images de certains personnages jeunes, je leur ai demandé de fouiller dans leurs photos. Celles de Jeanne étaient chez ses parents, c’est donc Michel qui s’est replongé dans les archives familiales. Et, de ces photos retrouvées qu’il avait totalement oubliées, est née l’idée de L’album photo.
Et le film, alors ?
Oh, le film… Avec le déconfinement, j’ai été pris par d’autres urgences. Je dois encore le terminer et le monter. Quand il sera fini, je le présenterai à Cannes, à Venise et à Berlin. Ça sera refusé et je ferai comme tout le monde : je le mettrai sur une plateforme de visionnage.
Comment c’est de travailler avec sa femme ?
Ce n’est pas la première fois, c’est même une habitude chez nous. J’ai fait trois films avec Aylin et elle joue dans au moins une pièce sur trois que j’ai écrites. Si je l’engage, c’est avant tout parce que c’est une bonne comédienne. Il faut être honnête, au début, bosser ensemble générait surtout des problèmes. On devait trouver quelqu’un pour s’occuper des enfants, ce n’était pas rien. Mais, outre le plaisir de collaborer, notre proximité nous permet de gagner énormément de temps. En un mot, Aylin me comprend. En revanche, ça a un inconvénient majeur : comme beaucoup de metteurs en scène, j’essaye de faire rire les gens avec qui je travaille. Je raconte une de mes blagues, ça marche en général avec tout le monde. Sauf avec elle qui les connait toutes.
Les couples à la ville comme à la scène, c’est un peu une habitude avec toi ?
C’est vrai, j’ai aussi une grande proximité avec Tania Garbarski et Charlie Dupont qui ont déjà joué ensemble dans deux de mes spectacles au Public. Tania est venue me voir parce qu’elle souhaitait une pièce où ils pourraient jouer tous les deux. Je lui ai dit que j’avais bien une idée de texte qui commencerait comme un film porno avec la visite d’un plombier chez une femme en nuisette, mais un porno où on n’arriverait jamais à la scène de sexe. Je leur ai donc écrit Tuyauterie. Ils ont ensuite rejoint le projet Les émotifs anonymes que j’avais adapté. On a tous eu la chance que ces deux spectacles fonctionnent bien, au Public et en tournée.
Jouer avec des gens que tu connais, est-ce un plus ou est-ce tout à fait indispensable ?
Au cinéma, certains réalisateurs changent d’équipe à chaque film, ils en ont besoin pour se renouveler. Moi, j’aime le travail au long cours. Je trouve agréable et rassurant de me trouver en pays de connaissance, et ça permet aussi d’accélérer les choses, on se connait, on sait de quoi chacun est capable et on se comprend rapidement. Cela dit, j’aime aussi me renouveler, en particulier dans les sujets que j’aborde.
Dans le cas de L’album photo, je connaissais assez bien Aylin, bien sûr, mais pas spécialement Georges. En revanche, Aylin et lui étaient ensemble au conservatoire et se sont retrouvés 30 ans après. Et ce qui est amusant dans notre trio, c’est que nous avons tous les trois des origines étrangères. Origines que l’on retrouve dans nos photos de famille même si on a presque toujours vécu ici.
Es-tu déjà sur un autre projet ?
J’ai toujours d’autres projets. J’écris un truc depuis des années. Je ne sais pas si ce sera une pièce ou un podcast. C’est un projet un peu vaste qui s’appelle BD. J’y explore le rapport qui existe entre la bande dessinée et l’antisémitisme. Mais je suis aussi sur d’autres choses. J’ai des problèmes d’attention, j’ai toujours besoin de faire plusieurs choses à la fois.
En confidence, avant de nous quitter, vous vous ressemblez, Aylin et toi ?
Mais pas du tout ! Aylin est un ours qui fait semblant d’être sociale. Moi, en réalité, j’ai toujours besoin d’avoir plein de gens autour de moi, mais je fais semblant d’être un ours.
Propos recueillis par Deborah Danblon
Photo © Kim Leleux
A VOIR : L’Album photo du 29.02 au 23.03.24
VUS AU PUBLIC :
L’invisible (1997)
Les mangeuses de chocolat(1997)
Jef (1998)
Une aventure de Simon Rapoport, guerrier de l’espace (1998)
Pitch (1999)
Une liaison pornographique (2001)
Les témoins (2005)
Paternel (2009)
Le jeu des cigognes (2014)
Tuyauterie (2014)
Le retour des Simone (2019)
Dieu(x) Mode d’emploi (2019)
Les émotifs anonymes (2020)
Ogresse (2021)
L’album Photo (2024)
LA PETITE BIO :
Je suis né le 26 juillet 1964, à Téhéran. Ma mère est d’origine iranienne. Mon père est belge, d’origine juive polonaise et autrichienne. J’ai deux frères, un peu plus jeunes que moi.
J’ai vécu deux ans en Angleterre, trois ans aux USA, cinq ans en Belgique, quatre ans en Iran. Depuis la révolution iranienne, en 1979, je vis en Belgique, à Bruxelles, à part un séjour de dix mois en Israël quand j’avais 18 ans.
J’ai fait des études de montage cinéma, à l’INSAS. Depuis, j’écris.
J’ai reçu quelques prix. On a traduit certaines de mes œuvres, entre autres en italien, en allemand, en chinois, en russe, en néerlandais. Je suis beaucoup beaucoup moins célèbre que Stephen King. Mais je parviens à vivre de l’écriture.
J’ai écrit des scénarios de films (entre autres « Une Liaison Pornographique », « Le Tango des Rashevski », « La Femme de Gilles », « Thomas est amoureux »), des pièces de théâtre (entre autres « Les Mangeuses de Chocolat », « L’Invisible », « Le Village Oublié d’au-delà des Montagnes », « Les Témoins », « Tuyauterie »), des romans (entre autres « De Cendres et de Fumée », « Le Livre des Rabinovitch », « Johnny Bruxelles »). J’ai aussi mis en scène certaines des pièces que j’ai écrites et réalisé plusieurs films (entre autres « Un Honnête Commerçant » et « La Couleur des mots »).
Je suis le mari de la comédienne Aylin Yay. Nous avons deux garçons, Théo et Elie.
J’aime le thé vert, le chocolat, les riz iraniens, les bains.