Doit-on apprécier les mêmes choses, avoir les mêmes goûts, pour s’aimer ?
Geneviève : Pas du tout. On est souvent plus riches de nos différences. On a des tolérances pour nos amis qu’on a rarement pour nos amours. Évidemment, c’est important d’être alignées sur les valeurs et le fondamental. Isa, tu m’as fait découvrir des choses que je ne soupçonnais pas, des espaces du monde, des rapports au vivant. 
Isabelle  : Je dirais non. Mais je suis attentive à ses goûts, à ses découvertes, à ce qui la touche et la transforme. Forcément, il y a des secrets cachés.
Geneviève : L’amitié nous aide à sortir de nos vies étroites. Avec Isa, je crois aussi qu’on partage du sauvage, de l’irréductible, du reptilien. On se connaît depuis très longtemps et certaines choses ne doivent plus être dites.
Isabelle : C’est côtoyer un autre fonctionnement qui inspire. Je me suis parfois surprise à copier Gene dans certaines situations, à me regonfler de l’intérieur.
Geneviève : J’adore observer le jeu d’Isa quand elle est sur scène, je la trouve incroyablement vivante et vraie. Quand je suis morte de trac avant d’entrer en scène, je me rassure en me disant que je vais m’accrocher à elle et que tout ira bien.
Isabelle : Gene se donne la puissance d’agir, de mettre en œuvre, d’être autonome. C’est assez impressionnant d’assister à son adaptation constante au réel, à sa capacité à pouvoir mener de front plusieurs vies avec un enthousiasme communicatif, avec audace et gourmandise.
Geneviève : Isa vit à l’intérieur du temps, elle s’en inspire, le déploie et s’y pose. Moi, je survole tout. 

Pourquoi s’être plongée dans le monde du football ?
Geneviève : Si on parle de foot, je tiens à préciser que j’aime l’idée du foot, mais plus j’en découvre les à-côtés, plus je te rejoins, Isa. Je déteste la politique du foot, l’argent du foot, l’hypercompétition du foot. Le sport que j’aime, c’est celui des terrains improvisés, des arrière-cours, de ceux qui sont juste habités par le plaisir de jouer.
Isabelle : Et, en réalité, ce n’est pas un spectacle sur le foot. C’est un spectacle sur le lien, le foot c’est une excuse.
Geneviève : Il s’agit d’une pièce sur l’engagement. Sur ce qu’on vit au niveau intime, ce qui se noue, ce qui crée nos loyautés, mais aussi pourquoi à un moment tu te lèves et tu prends la parole dans l’espace public. Ce spectacle n’évite pas la question du politique. 
Isabelle : C’est un spectacle qui raconte comment deux femmes s’accompagnent, comment elles cheminent ensemble, comment elles se transforment ensemble. Et puis on a ri. Beaucoup. Ça n’est pas toujours confortable de faire une création ensemble, de chercher la justesse de ce que l’on veut dire ou ne pas dire, montrer ou ne pas montrer. 
Mais le rire nous sauve, toujours. 
Et en règle générale, le théâtre aussi.
Geneviève : Le soubassement du spectacle est la joie. En étant qui on est, ni mieux, ni moins bien. Avec nos inconnues et nos doutes. Tout est né du hasard d’être allée voir mon premier match avec mon fils, grâce à des places que Michel Lecomte m’avait offertes, et de te l’avoir raconté. J’ai été infiniment touchée par le côté rassembleur, chaleureux, multiculturel du foot, comme au théâtre, alors qu’on les oppose si souvent. Pourtant, ce sont deux “sports collectifs” où pour que cela marche, il faut que toute l’équipe porte le projet. Ça a éveillé une foule de questions en moi et ce texte m’a aidé à les analyser à défaut d’y répondre.
Isabelle : Mon premier souvenir de foot, c’est mon père qui nous réveille pour suivre les matchs de la Belgique pendant la coupe du monde de Mexico. On sautait sur le divan lit. On est arrivés quatrième. On est allés sur la Grand-Place pour le retour des joueurs, mon frère est tombé dans les pommes. Grand moment d’émotion. J’avais oublié.
Aujourd’hui, mon fils et son papa sont fans de l’Union. Le dimanche chez nous, ce n’est pas la messe, c’est l’Union. Je les laisse y aller. Ils vivent ça comme un exutoire avec une joie infinie.

Puisque vous n’allez pas au foot ensemble, quelles sont vos activités communes, celles où vous vous retrouvez, hors le théâtre, bien sûr ?
Isabelle : C’est vrai que le théâtre est souvent le lieu de nos retrouvailles, de nos débats, de notre évolution. 
Geneviève : On marche beaucoup ensemble. On marche et on parle. On fait des pique-niques. Et puis, il y a d’autres choses. Je me rappelle que pour la première de Paix nationale, tu m’avais fait livrer des fleurs. C’était à Charleroi.
Isabelle : Toi aussi, tu m’envoies des fleurs.
Geneviève : C’est vrai ? Je ne m’en souviens plus.
Isabelle : Pour les moments délicats.

Pourquoi faire du théâtre ?
Geneviève : Pour donner, rencontrer, être moins seule dans l’obscurité du monde.
Isabelle : J’aime penser que le théâtre est encore un lieu de résistance, d’indignation, de réparation possible, de célébration du présent, de l’éphémère, de la beauté. 
Et puis au théâtre, tout peut exister. Ça permet un certain horizon.
Geneviève : Pour se voir tous les jours.

Propos recueillis par Deborah Danblon
Photo © Gaël Maleux

A VOIR : 
Hors-jeu jusqu’au 18.10.25