Comment est née l’envie de monter ce texte, comment est-il venu à toi ?
C’est une histoire formidable qui m’est arrivée. Je jouais Perfect Day de Geneviève Damas, au Blocry et Alain Leempoel est venu voir le spectacle. À l’issue de la représentation, il m’a proposé la mise en scène du Fils. Il voulait y jouer le rôle du père. Il n’y a pas de hasard, j’étais justement en train de répéter en journée Le mensonge, du même auteur, que j’allais jouer aux Galeries. J’étais donc plongée dans la langue de cet auteur, même si je ne connaissais pas encore sa trilogie Le père, La mère, Le fils. Cette proposition était un vrai cadeau, d’autant que je suis particulièrement sensible au sujet de la fragilité des jeunes. On a organisé une lecture au Public, et tout le monde a été conquis. Parfois, la vie nous offre des petits miracles ou de belles surprises. Le Public a déjà accueilli certains de mes spectacles (*), mais Le fils sera ma première création et ça me fait particulièrement plaisir, parce que je connais très bien Patricia et Michel, nous sommes de la même génération, nous avons fait nos études à la même époque au Conservatoire de Bruxelles. Ce sont donc de belles retrouvailles.
Comment tu abordes ton travail de mise en scène ?
Dans le cas du Fils, je savais que je ne voulais pas d’une scénographie réaliste. Un décor trop « identifiable » aurait enlevé une part d’universalité. Je trouve essentiel que les spectateurs puissent se projeter et se retrouver dans le propos. Si les images sont trop précises, trop volontaires, ce sera plus difficile, j’ai défini cette envie avec la scénographe et à l’intérieur de ce concept, elle est libre de me proposer ce qu’elle souhaite.
Avec Le fils, on est a priori dans une pièce très réaliste, les dialogues semblent de l’ordre du quotidien, mais Florian Zeller est un auteur magnifique, son écriture ressemble à une partition musicale, il impose des temps, des silences. Ses didascalies sont très détaillées. J’ai souhaité que les comédiens respectent cette cadence et ne voulais donc pas réduire les dialogues à de simples échanges quotidiens « vite balancés » comme dans une série télé.
L’universalité du propos passe par une forme de rythme imposé par l’auteur et une poésie inhérente à la langue, et cela, même si le résultat se fait entendre de manière réaliste et concrète.
La langue de Zeller est très travaillée, c’est éminemment du théâtre. Je ne savais pas exactement ce que cette langue donnerait sur le plateau, mais je savais que je voulais la respecter pour lui rendre son relief. Et dès les premières séances de travail, j’ai demandé aux acteurs et aux actrices de respecter les temps pour ne pas trahir la musicalité et le rythme de l’auteur afin de voir où cela nous menait.
L’analyse préalable du texte est fondamentale pour tenter de comprendre au mieux ce que l’auteur a voulu exprimer.
Le fils parle, entre autres, d’un jeune homme à la recherche de lui-même. En quoi le spectacle peut nous parler, nous toucher, aujourd’hui ?
À mes yeux, il s’agit réellement d’un texte nécessaire. Nous savons que la période Covid a été terrible pour tout le monde et on pense surtout aux personnes âgées et fragilisées, mais en ce moment, il ressort des études à quel point cette période Covid a eu un impact sur la jeunesse. Les dégâts collatéraux apparaissent maintenant. L’adolescence est un âge charnière où on comprend que les parents ne sont pas des héros, où on veut exister en dehors de la cellule familiale, où les copains deviennent la nouvelle famille. Pendant la pandémie, les jeunes ont été coupés de tout ça, ils n’ont pas pu vivre certaines expériences et cela a eu des conséquences importantes sur leur comportement. Nous connaissons tous des familles dans lesquelles des décrochages scolaires, des questionnements, des pertes de confiance sont survenus après le Covid. Cette question que pose le fils « À quoi ça sert tout ça » résonne dans l’esprit de certains jeunes actuellement.
Parmi les différents sujets abordés dans la pièce, quel est le thème principal que tu retiendrais ?
Pour moi, le thème principal ce serait les dégâts collatéraux qui touchent toute la famille quand un jeune dysfonctionne. Dans la vie, comme dans la pièce, il arrive souvent que tout le monde soit de bonne volonté et ait envie d’aider le jeune en souffrance, et pourtant, les meilleures intentions peuvent déboucher sur le pire.
Dans Le fils, l’impuissance du père est centrale. Il voit sombrer son gamin, qui a toujours été bon élève, équilibré et facile à vivre, et cet homme est complètement démuni et impuissant. Il parle avec ses propres valeurs, ses références personnelles et il ne peut que constater que ça ne fonctionne pas. Alors, lui si solide, si satisfait de sa situation professionnelle, se décompose. Il vacille. Le dysfonctionnement du jeune homme bouscule toute la famille, et c’est terriblement triste et beau de se rendre compte à quel point on peut être maladroit tout en étant pétri de bonnes intentions. C’est une situation humaine dans laquelle on s’est toutes et tous retrouvés à un niveau ou à un autre, une situation qui devrait toucher le public. Nous assistons là à une tragédie. Une descente inexorable contre laquelle personne ne peut rien. En voyant cette famille qui nous ressemble, on ne peut que se demander ce que nous ferions dans la même situation. Et au théâtre l’interrogation est bénéfique, elle permet en quelque sorte de donner la place à une forme de prévention. Dans le cas du Fils, il s’agit d’une fiction, le spectacle a des aspects drôles et lumineux, et sans doute grâce à ça, il pourra éveiller des consciences dans notre monde où la jeunesse est à ce point en malaise.
Cette pièce peut donc ouvrir le débat sans être moralisatrice. Elle est ouverte et pleine d’amour. Elle ne juge pas.
Propos recueillis par Deborah Danblon
Photo © Valérie Nagant
A VOIR : Le fils du 10.10 au 11.11.23
(*) EN SAVOIR +
Les mises en scène d’Hélène Theunissen présentées précédemment au Public :
- Promenade de santé de Nicolas Bedos, avec Charlie Dupont et Tania Garbarski (2013-2014)
- Les Murs murmurent de et avec Babetida Sadjo (2018-2019)
- La Nostalgie des blattes de Pierre Notte, avec Julie Duroisin et Julie Lenain (Esquisse, 2019-2020)