Bonjour Nicolas, bienvenue au Théâtre le Public. Comme c’est la première fois que nous vous accueillons, pouvez-vous nous dire qui est Nicolas Briançon ?
Je viens d’avoir 60 ans le 29 juillet dernier, je ne vous dis pas ça pour vous raconter ma vie, mais pour vous donner une idée de la durée de ma carrière. J’ai commencé assez tôt, j’avais 21 ans quand j’ai signé mon premier contrat professionnel et je n’ai jamais arrêté de travailler depuis.
La première période de ma vie théâtrale, je l’ai vécue dans une compagnie. Ce fut une époque fondatrice, essentielle pour apprendre le métier tel que je le pratique encore actuellement. Si je vous dis qu’on se situait dans un village de 900 habitants dans les années ‘80 au fond du Lot-et-Garonne, vous allez vous dire que ça devait sentir le pétard, le four à émaux et le macramé, mais pas du tout. Notre compagnie était vraiment pro. La jeune première s’appelait Muriel Robin, elle donnait la réplique à Élie Semoun et à Nicolas Marié. J’y ai aussi rencontré Albert Dupontel et Michel Fau, tant de gens qui font encore partie de mon paysage professionnel actuellement.
On faisait tous de tout. Le jeu, la régie, la mise en scène. On est partis en tournée sur les routes de France dans une ambiance à la Capitaine Fracasse. Pour moi, ça a duré pendant trois ans. Mais j’aime changer, alors, j’ai fait un passage de deux saisons à la Comédie Française et on m’a fait ensuite une proposition que je n’ai pas pu refuser : jouer dans Bacchus de Jean Cocteau avec Jean Marais ! Une aventure formidable qui m’a mené pour la première fois à Bruxelles, puisque Bacchus a fait partie, comme tant d’autres, de la tournée des Galas Herbert-Karsenty accueillis au Théâtre des Galeries. Ensuite, j’ai joué Les chevaliers de la Table ronde de Cocteau, mais surtout, c’était ma première mise en scène importante, toujours avec Jean Marais. Ce fut d’ailleurs son dernier spectacle.
Si dans ce cadre-là, être metteur en scène m’avait plu, dans ma tête, cela restait pourtant une occupation secondaire, ce que je voulais, moi, c’était être acteur.
J’ai ensuite joué dans une comédie musicale de Roger Louret, Les années twist. Un succès phénoménal, nous avons donné plus de mille dates, dont plusieurs au Cirque Royal en Belgique, encore. Une entreprise extraordinaire, mais enfermante. De quoi me donner l’occasion de réfléchir au métier en général, et à ce que je voulais faire en particulier. J’ai alors repensé à Jacques et son maître de Kundera, que je rêvais de monter. Et j’ai compris que si j’attendais sagement qu’on me le propose, ça pouvait encore durer longtemps. Alors, je me suis dit : « Mon pote, si tu y tiens tant que ça, fonce ! » J’ai foncé et j’ai bien fait. J’ai été nommé aux Molières pour la meilleure mise en scène. Ma carrière de metteur en scène a réellement démarré à ce moment-là en dirigeant, entre autres, Robert Hossein dans Antigone de Anouilh ou dans Le menteur de Corneille.
Après, évidemment, j’ai dû jongler pour mener mes deux métiers de front, puisque bien sûr, je n’ai pas voulu renoncer à jouer. Et pour faire bonne mesure et être certain de ne pas m’ennuyer, j’ai succédé à Jean-Claude Brialy comme directeur du Festival d’Anjou, le deuxième plus important en France pour le théâtre après celui d’Avignon. On faisait une création par an qui était ensuite jouée à Paris.
Et c’est là que, pour la première fois, j’ai croisé la route du Canard à l’orange.
Racontez-nous votre rencontre avec Le canard à l’orange.
Toute cette histoire est partie d’une envie de s’éclater entre copains. Avec Anne Charrier et François Vincentelli, on est potes depuis longtemps et souvent, on se demandait ce que l’on pouvait monter ensemble. J’ai relu Le canard à l’orange presque par hasard, et comme parfois dans ces cas-là, ce fut l’évidence. On l’a monté au festival à Angers, le patron de la Michodière l’a vu, il a adoré et l’aventure parisienne a ensuite commencé et elle n’est toujours pas terminée. Pour ma part, j’ai fait ma première incursion dans le théâtre de boulevard et j’ai adoré changer de genre et m’amuser. J’y ai pris et j’y prends toujours un immense plaisir.
Quelle est selon vous la pertinence d’une telle pièce en 2022 ?
Honnêtement, en matière de pertinence, je ne sais que répondre. Mais ce que je peux vous dire à coup sûr, c’est qu’au final, c’est le public qui décide. Et pour Le canard à l’orange, il nous fait bien savoir que ça lui plait puisqu’il se déplace en nombre pour le voir. Nous les artistes, on peut avoir des idées, des propositions, mais si le public ne suit pas, on a beau faire, tout ça ne sert pas à grand-chose.
Pour ma part, je me base sur mes ressentis, mes envies. Je pense qu’un acte artistique ne peut partir que d’un désir fort, pas d’une réflexion. Après, ça ne marche pas à tous les coups. Parfois on se gamelle, parfois ça passe. Mais si au départ, on n’a pas le désir de se lancer dans un projet, la pertinence, on s’en cogne.
Le canard à l’orange fut mon dernier spectacle à Angers, celui de mes adieux et sur ce coup-là, je ne me suis pas trompé. Il a été nommé dans sept catégories différentes aux Molières et pour la première fois dans leur histoire, toute la distribution a été nommée.
Cela dit, Le canard à l’orange et les rires qu’il déclenche nous posent inéluctablement la question suivante : rit-on moins dans le théâtre contemporain ? Avec la pandémie, la guerre, la crise économique, les gens ont désespérément besoin de s’évader. On n’a jamais vu autant de stand up, de comédies…
Dans Le canard à l’orange, le rire reste fin. Le personnage principal est intelligent. Même si, bien sûr, il y a un fond de patriarcat misogyne propre à une époque dans la pièce, il n’est pas plus présent que dans L’amant de Pinter, par exemple, et c’est écrit de façon tellement fine qu’on n’a aucun mal à le regarder encore aujourd’hui. La pièce devient alors le portrait d’une époque.
Ce type de spectacle est une mécanique bien huilée, comment s’aborde une telle mise en scène ?
Dans le boulevard, la caractéristique principale est que l’acteur est roi. Mon boulot de metteur en scène est de valoriser les comédiens. Pour Le canard, je n’ai pas cherché à raconter autre chose que ce qui est écrit. Le volatile n’est jamais meilleur que quand il est cuisiné dans son jus.
J’apporte à mon travail le même soin que quand je mets en scène Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare. La seule différence c’est que Shakespeare demande plus de temps de travail à la table pour comprendre profondément le texte. Mais la précision, la clarté auxquelles il faut arriver sont les mêmes. Jouer un rôle, quel qu’il soit, est exactement pareil. Le devoir de vérité, de simplicité est le même. Mais dans une pièce comme Le canard, cela demande en plus une extraordinaire envie de s’amuser et de prendre du plaisir à jouer, parce que les personnages eux-mêmes s’amusent de ce qui se passe.
Propos receuillis par Deborah Danblon
Photo © Gaétan Bergez
A VOIR : Le canard à l’orange du 12.09 au 24.09.23