ANTOINE GUILLAUME (Georges Feydeau, Méliès, Lucien, Maurice, Tchekhov)

Jouer 80 fois un même spectacle !
Repenser 80 fois l’instant. Retrouver 80 fois la concrétude de narration. Créer 80 fois la complicité de plateau avec ses partenaires.

Jouer 80 fois un même spectacle !
Respirer 80 fois différemment avec une salle de spectateurs. Réajuster 80 fois la ligne de croisière d’un navire. Savourer 80 fois chaque incident qui rend l’art complètement vivant.

Jouer 80 fois un même spectacle !
Être 80 fois perméable à la sensibilité de la personne qui joue en face de nous. Tenter 80 fois de la mettre en valeur elle, avant nous. Transformer 80 fois le temps en trésor, pour ne jamais le laisser devenir routine.

Jouer 80 fois un même spectacle !
Espérer 80 fois une 81ème ! Redouter 80 fois une annulation. Dire 80 fois merde à une équipe entière avant d’entrer en scène.

Jouer 80 fois un même spectacle !
Savourer 80 fois l’état de grâce. Se dire 80 fois qu’on fait le plus beau métier du monde. Avoir 80 fois la confirmation de la flamme.

Jouer 80 fois un même spectacle !
80 fois se dire que d’habitude quand tout va bien, ce n’est que 28 représentations maximum. 80 fois serrer les mains de ses collègues aux saluts. 80 fois avoir un sourire idiot, nu sous sa douche juste après la représentation.

Jouer 80 fois un même spectacle !
Pour, à la fin, se rendre compte, que les 80 fois deux heures sont passées comme seulement 80 secondes, et attendre avec impatience les... 80 suivantes !

DAVID DUMONT (Léo Volny)

La première chose à laquelle je pense c’est à mon corps. Mon corps qui est mon outil de travail ; sur cette série j’ai pu mesurer son efficience. Edmond, c’est une partition incroyable où il faut être tout le temps « taquet-gainé » comme dirait Emmanuelle Mathieu.

Il faut que les antennes soient tout le temps déployées, sur le plateau, comme en coulisses, car, sur ce spectacle, il faut non seulement être au service du partenaire via le jeu, mais aussi être capable de foncer des coulisses pour apporter un accessoire ou bouger un décor.

De ce geste - clinique - dépend parfois l’entièreté du spectacle ; la fenêtre est parfois très courte, c’est là qu’opère la magie d’Edmond.
Parfois c’est mon corps qui prend le relais, qui devance ma pensée quand il y a un changement à faire - accessoire, costume ou décor - et qui m’emmène vers la chose à faire.

Quel bonheur enfin de partager cette magnifique aventure avec une troupe si incroyable, talentueuse et bienveillante.

ELSA TARLTON (Jeanne, Rosine)

Moi ?? 
Bah…
En tant que jeune actrice, et par « jeune », je veux dire que ce n’est que ma troisième année « professionnelle » en tant qu’actrice diplômée d’une école d’interprétation dramatique (c’était l’IAD…si jamais vous vouliez savoir), avoir dès mes premières années dans ce métier un projet comme Edmond, est une expérience incroyable ! 

La pièce et l’équipe sont déjà magnifiques. Alors avoir la possibilité de la jouer sur une durée de quatre mois est une opportunité sans nom. 
Tout d’abord, comme premier test d’endurance et de technique dans le métier : pendant des années, on nous apprend et on nous entraîne à développer une technique nous permettant de reproduire tous les jours et à chaque représentation la magie du moment présent que demande cet art vivant. Mais jamais n’avons-nous eu l’occasion de vraiment tester tout ce dont on tend vers pour peaufiner notre outil. Dans le cadre des études supérieures, je n’ai pas eu l’occasion de tester l’étendue de ces techniques à cause de la limite dans le temps des exercices imposés par le cursus. Ceci dit, en Belgique, jouer pendant quatre mois sur une même série dans un même théâtre est assez rare… 

Ah oui, mon ressenti des 85 fois ? 

Bah… C’est quelque chose ! 
J’avoue que de pouvoir tester, de mettre en branle sa technique dans ces conditions est assez exaltant. Je me suis retrouvée chaque jour envahie par une énergie proche de la surexcitation (une énergie sûrement générée par cette équipe de rêve <3 ). Il fallait, maintenant que je dose cette énergie pour pouvoir « survivre » ces quatre mois. Sans compter l’influence de cette période d’automne et d’hiver (nous avons bravé les maladies : rhinopharyngite, sinusite, rhume, pneumonie, grippe et gastro post Noël…) Un vrai challenge ! 
Par ailleurs, je crois n’avoir testé qu’une fine partie de ma technique. J’ai encore beaucoup à apprendre. 
Et ce n’est que le début !

FRANÇOIS-MICHEL VAN DER REST (Ange Floury, Clarétie)

"Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez."

Boileau, Art poétique 

"- Mère supérieure ! Mère supérieure ! 
- Qu’y a-t-il, Sœur Clothilde ?
- J’ai terminé mon napperon. Il est sublime. Puis-je en recommencer un derechef ?"

Dialogue de coulisses 

Une série comme celle que nous avons vécue avec Edmond au Public, c’est une expérience rare et apprenante. 
Jouer aussi longtemps la même œuvre, dans des circonstances chaque jour presque identiques - la même salle toujours bondée, les mêmes coéquipiers toujours prêts, chance inouïe, à accueillir vos fantaisies et vos humeurs - permet de redécouvrir notre art, d’éprouver intimement les ressorts que nous mettons en œuvre pour répondre à ses exigences. C’est pour moi explorer les fondements de ce qui m’a poussé à faire ce métier : le désir de jouer à, d’inventer, de se laisser porter par le moment et la situation, comme un cavalier est sensible à sa monture, au terrain, à son émotion et à ses sensations, comme un skipper éprouve la houle et le vent, les gréements de son voilier et sa propre fatigue. Mais comme monter à cheval et chevaucher la mer, le désir seul ne suffit pas. Technique et concentration permettent de transformer un désir pur en plaisir partagé. 
Edmond, c’est tenter et re-tenter chaque soir, sincèrement, sans hâter, sans presser, sans forcer, quelque chose que personne peut-être ne percevra directement, mais qui vous semble compléter ce que vous propose l’instant. C’est un luxe "à l’ancienne", dans ces temps où l’on presse, où l’on doit performer.
En ce sens et par la durée de l’entreprise, cette série ressemble à la tapisserie de Bayeux : une geste héroïque et fantaisiste contée au point de croix par une équipe de brodeuses et de brodeurs enthousiastes bien qu’expérimentés, excités chaque jour par l’idée de créer quelque chose qui ne se fera qu’une fois. 
Mais l’enthousiasme et la joie des coéquipiers ne viennent pas que de la création commune. Le succès et la réussite de l’entreprise, artistiquement et financièrement, apportent bien sûr de l’énergie (joyeuse et enthousiaste) à l’ensemble du système ; mais il subsiste un point aveugle, un jene-sais-quoi, un presque-rien qui rend cette rencontre magique et durable. L’intelligence de ceux qui nous ont rassemblé y est probablement pour beaucoup, mais au-delà de cela, il y a quelque chose d’irréfragable, d’irréductible et de mystérieux qui me fait penser à ce que Montaigne évoquait de son amitié avec La Boëtie, ne pouvant l’expliquer : "Parce que c’était lui, parce que c’était moi".
 
François-Michel van der Rest [Le vieux critique, Auguste Lumière, Ange Floury, un client au Moulin Rouge, Clarétie, un spectateur du Dindon, le chauffeur de la voiture publique, un soldat, un client chez Honoré, un mousquetaire].

ITSIK ELBAZ (Constant Coquelin, Stanislavsky)

M’enfin Michel,
Comment puis-je te répondre ?

Oui on a joué plus de 80 fois consécutives la même pièce en communauté française de Belgique mais que te dire puisque de mémoire de moi et de mémoires des plus anciens, ça n’était pas arrivé depuis 1830.
Il y avait statistiquement moins de chances que ça arrive que l’absence de travaux sur la voie publique dans les 19 communes de Bruxelles.
Tu peux aisément comprendre que je n’ai pas de point de repère ; ni repère historique, ni repère professionnel, ni même un semblant de repère personnel alors excuse moi mais ta demande me désarçonne.

Mais bon, puisque tu insistes, je vais au moins te décrire ici l’une ou l’autre observation, c’est tout ce que je peux faire.
Mais je te préviens, ce ne sera pas la révolution des lettres.

Bon alors d’abord, c’est la première fois de ma carrière que j’ai l’impression d’aller au travail.
Tu vois, j’ai toujours essayé de faire mon travail mais là, cette longue série m’a permis d’apprendre à y aller jour après jour, seize semaines, au lieu des quatre habituelles, au lieu des trois habituelles, au lieu des dix jours habituels, au lieu de la semaine habituelle, au lieu de toutes celles qu’on a pas pu jouer.
J’ai toujours voulu y aller Michel.
Pas être un fonctionnaire mais tu vois quoi, y aller.

Et tu sais quoi ?
Heureusement que c’était le bonheur quotidien parce que ç’aurait été l’enfer de ne pas aimer le travail et ses collègues.
J’ai donc été au travail en plus de le faire.
Tu veux une preuve que c’était le bonheur ?
Ok, comme tu veux.
Alors la voilà Michel, on connaît toutes et tous la difficulté de ce métier, recréer tous les jours les mêmes émotions n’est-ce pas ?
Eh bien, à quelques jours de la dernière, après quatre mois de représentation, des spectateurs m’ont dit non seulement qu’ils ont aimé le spectacle (c’est toujours bon à entendre) mais surtout qu’ils ne s’attendaient pas du tout à cette « prise de risque » sur le plateau de la part des comédiennes et comédiens.
La prise de risque, c’est ce petit grain de folie qui rend une représentation à la fois la même et si différente des autres, ces instants qui ne peuvent surgir que du présent, ce seul présent que nous fêtons, les artisans de l’éphémère comme disait Perrine/Maria tous les soirs.
La fête Michel.
Tu parviens à faire la fête si ton coeur n’y est pas toi ?
Non n’est-ce pas.
Pareil pour nous sur le plateau.
Nous y étions en fête.

Oh je sais, c’est si paradoxal de dire « aller au travail » et « fête » dans une lettre. C’est tellement paradoxal et bateau et si peu triste.
C’est pas la mode Michel, je sais.
Mais c’était ainsi et je ne vais pas prétendre que nous étions malheureux alors que notre travail était une fête joyeuse et réglée comme du papier à musique, une musique d’orgue de Barbarie avec des parfums de fête foraine tu vois ?
Je vais même te dire plus mon cher Michel, nous avions rendez-vous tous les soirs pour faire la fête, des fêtes : celle de l’amitié, celle des mots qui fusent, celle des rires et des larmes, celle des ados qui riaient, celle des grands-parents qui riaient avec leurs petits enfants, celle des gens qui ne s’attend
aient pas à rire, celle des gens à qui on a donné parfois envie de pousser à nouveau les portes d’un théâtre, celui-là ou un autre.

Mais de quel rire je parle ?
Écoute Michel, tu m’emmerdes avec tes questions, je ne suis pas sociologue, je ne suis pas anthropologue, je ne sais pas à quelle catégorie elle appartenait cette multitude de rires, je ne sais pas quelles zones du cerveau étaient activées quand ça riait.
Ça riait et puis c’est tout.

Je ne vais pas te mentir : on a ri sur le plateau parfois. On l’a caché du mieux qu’on a pu aux spectateurs mais je pense que ça s’est vu de temps en temps.
On voulait pas mais parfois c’était trop.
Ben oui mais c’est la prise de risque dont je te parlais, le grain de folie.
Parfois il y avait plus d’un grain sur le plateau. Jamais assez pour enrayer la machine mais assez pour piquer les yeux de rire.

Et puis Michel, nom de Dieu, j’ai joué des tragédies à n’en plus finir, j’ai côtoyé l’âme théâtrale à travers sa noirceur et puis là, tu me files Coquelin, ce grand enfant plein de foi qui croit à ce qui est joli, comme si ça allait changer le monde.
Quel dingue Michel.
Imagine... À son âge, croire encore à son métier comme un gosse qui ouvre un paquet cadeau avec un chiot affectueux dedans.
Je ne sais pas s’il a raison de se relever à chaque épreuve mais c’était pas ça le plus fou !
Le type, il sourit tout le temps !
À la vie, au théâtre, aux emmerdes, aux acteurs, à son fils, à tout !
Plus il avait des emmerdes, plus il riait !
Coquelin, c’est le gars que je ne suis pas mais j’ai été tellement content de l’avoir comme partenaire bordel.
Ce type n’est pas un acteur, c’est une boussole qui pointe vers la joie.
Les 80 et quelques fois sur scène, il m’a tenu la main Michel et je n’aurais pas pu parler de joie après si longtemps s’il n’avait pas été là avec son sac de grains de folie.
Attention hein, j’aurais fait le job.
Mais je n’y aurais pas été en souriant.

Je dois te dire encore quelque chose ?
Ben, y’a les autres Michel.
On ne joue pas 80 et quelques fois en souriant à côté d’abrutis, de pessimistes, de sournois ; on ne peut être en joie qu’avec des gens qui rient, sont un peu fous et ont un gros appendice cardiaque avec des pompes aortiques qui fonctionnent à plein régime.

Voilà, un peu nulle cette lettre, tu étais prévenu.
Bla-bla c’était bien bla-bla rires bla bla-bla-bla amour bla-bla-bla.
Mais je ne te mens pas, c’était comme ça.

Je t’embrasse capitaine.

MAXIME ANSELIN (Jean Coquelin, Courteline, le chef de gare, l’huissier)

Tout commence toujours par une première fois. Cette fameuse première fois que l’on redoute autant que l’on espère. On s’est préparé pour qu’elle soit inoubliable, pour ne pas avoir à la regretter, pour donner le meilleur de soi-même. Pour plaire autant que cela nous plaît. La première fois, on s’en souvient toujours, surtout quand elle est bonne.

Puis vient la deuxième, la plus risquée. On est soulagé du poids de la première, on est lancé, on a pris confiance. Le risque est toujours d’essayer de reproduire ce qui avait fonctionné. Mais le partenaire (le public) n’est pas le même, le jour n’est pas le même. Tout change. La deuxième nous procure rigueur et vigilance.

Viennent alors les troisièmes, quatrièmes, cinquièmes,...Et la première relâche. Un jour ou deux où on se sépare pour mieux se retrouver. Et la reprise qui suit où l’on se demande si, malgré le fait que ce ne soit pas si loin, on n’aurait pas oublié quelques sensations. On se remet à douter, mais on se retrouve finalement, avec un grand plaisir.

Généralement, dans notre noble Belgique, on s’arrête après un mois. Parfois plus, parfois moins. Jouer une quinzaine de représentations de suite, une trentaine quand tout va bien. Parfois cinquante, mais cela paraît déjà exceptionnel. Pour les Parisiens, la centaine est une habitude.

Alors, oui. Jouer plus de quatre-vingt fois en suivant, c’est assez rare. C’est emprunter le même chemin presque chaque soir. C’est repenser à hier en pensant déjà à demain. C’est parfois se dire qu’on loupera pas mal de soirées avec les amis, mais tant pis. C’est croiser les mêmes visages pour en animer d’autres. C’est installer des rituels qu’on se plaît à pratiquer encore et encore. C’est un frisson qui nous parcoure à chaque première entrée. Frisson que l’on retrouve après le noir final et la liesse du public. C’est se retrouver quatre-vingt fois comme un gosse devant son jouet préféré. Un jouet qui ne le lassera jamais.

Mais jouer « Edmond » plus de quatre-vingt fois, jouer avec cette merveilleuse équipe plus de quatre-vingt fois, c’est encore différent. C’est une joie immense de retrouver chaque soir l’équipe qui, lors de la première répétition, a dessiné un sourire sur votre visage en savourant, par avance, ce que nous allions faire ensemble. Ce sont des rires en cascades chaque soir. C’est redécouvrir le texte, redécouvrir l’histoire. Ce sont des regards plein de bonheur que l’on retrouve et qui ne se fatiguent jamais. C’est se dire que, même si la journée fût longue et intense, même si on est malade, même si la motivation fait défaut, cette équipe est un boost incomparable.

Jouer quatre-vingt fois, ça peut paraître long. Mais, dans ces conditions, on pourrait se dire que la première était hier. Que ces quatre mois en paraissent un seul.
Jouer quatre-vingt fois, c’est rare, et quand c’est comme ça, c’est inoubliable.
Jouer quatre-vingt fois, c’est une chance. Comme ces applaudissements répétés et soutenus chaque soir.

MWANZA GOUTIER (Monsieur Honoré, le journaliste)

Edmond Public numéro 1. C’est le titre. 
Qui dit que l’acteur est volage ? 
De conquête en conquête 
De personne en personnage 
Non dis-je ! 
Je suis honoré d’être 
Et le jouerai jusqu’à la mort. 
Blague à part, une relation longue a ceci d’intéressant que plus on s’ancre plus on est transporté. 
Le tour d’Edmond en 80 jours. 
Tout un monde d’acteurs, de régisseurs, de spectateurs, et François aussi, pantin articulé qui vit dans les coulisses et s’amuse à nous faire peur quand on ne s’y attend pas. 
Chaque chose a son temps, mais une fois celui-ci anticipé, il s’écoule pareil pour un jour et pour un an. 

Lorsque je voyage un week-end en amoureux, je vis plus ou moins la même temporalité que lorsque je pars deux semaines en vacances avec mes enfants, trois mois en tournée, un an en mission... 
Il y a l’installation, le déroulement et la chute qui siffle que « le temps file ». 

Mais si la somme des attentes multipliée par l’intensité des émotions et la satisfaction de l’instant tendent à se rejoindre de manière à ce que le week-end ne lâche jamais les mains de l’année, cette dernière nous permet cependant d’acquérir plus de sagesse et une gravité en équilibre instable à maintenir légère pour que sur son point d’appui elle se maintienne plutôt qu’elle ne pèse. 
 
Et soir après soir, c’est avec plaisir que je chevauche ce socle solide fait de travail, de partage, de vision commune et d’amour, et que je redécouvre de nouvelles facettes de la pièce, de mes partenaires, et de l’immense plaisir qu’il y a à sublimer l’instant.

PERRINE DELERS (Maria Legaut, Jacqueline)

Jouer un spectacle plus de 80 fois demande énormément de rigueur, demande aussi une grande complicité et, je crois, un grand professionnalisme. Depuis le mois de septembre, nous redisons jour après jour, les mêmes mots, car ce sont ceux de l’auteur et qu’ils font mouche, avec la même intonation car elle provoque un effet, avec les mêmes déplacements car ils amènent le rythme... On pourrait croire qu’à répéter et refaire tous les jours les mêmes choses, l’ennui et la fatigue s’installeraient mais, pour ce projet, ce n’est pas le cas. Pourtant, nous sommes dans du théâtre de divertissement ; qui ne demande pas une grande recherche, sur le personnage, sur la psychologie ou autres. Et pourtant, tous les soirs ce fut un plaisir de retrouver le public, le théâtre et surtout l’équipe. 

Cela fait 20 ans que je fais ce métier et j’avoue y prendre beaucoup de plaisir - ce serait triste que ce ne soit pas le cas vu la précarité de notre profession et les sacrifices qui en découlent -, mais j’avoue que régulièrement en fin de série, une certaine lassitude s’installe et l’envie d’un nouveau projet me fait de l’œil. Pour celui-ci c’est différent, pourquoi ? Peut-être parce que le rythme de ce spectacle ne permet pas à ses acteurs de s’ennuyer pendant la représentation. Peut-être parce que la réunion de tous ces acteurs est juste parfaite, un bel équilibre, de belles personnes avec de grands talents. Peut-être parce que le fait de jouer quatre mois, nous nous sommes tous mis dans l’état d’esprit du « show-must go on » ! Nous avons connu trois saisons, la première fois que nous nous sommes rencontrés, nous étions en petite robe, débardeur : c’était le printemps ; il en était encore de même quand nous avons commencé à répéter c’était l’été, ensuite est venu la rentrée, l’automne, les premiers régimes, des grippes et des gastros ; il a fallu nous immuniser, il a fallu nous soigner, nous réconforter et, en hiver, nous étions devenus une grande famille avec ses grands frères et grandes sœurs. Il est rare de trouver une équipe aussi vigilante, c’est-à-dire que dès que nous sentions le public un peu plus fébrile, un peu moins avec nous, nous en parlions tout de suite, nous avons été très très au taquet à ne pas blesser le spectacle, qu’il reste celui que nous avions à la base et de le faire évoluer en bien et que jamais la monotonie ne s’installe. Et puis il y a cette vie de coulisses, au millimètre près, c’est un vrai ballet et dieu que c’est beau. Tous les soirs, nous cherchons nos moments de délire dans ce lieu ; blagues, chorégraphie, mimes,... le spectacle se passe tant à l’avant qu’à l’arrière.

Donc qu’est-ce que ça fait de jouer ce spectacle plus de 80 fois ? Ça fait du bien, on est fier du succès et c’est pour ça que je voudrais que ça ne s’arrête pas ! Mais la tournée se confirme, alors là je veux bien une petite pause car j’ai beau aimer ce projet et mon métier, ma famille est ce qui compte le plus au monde et je veux retrouver mes filles et mon amoureux.

RÉAL SIELLEZ (Marcel Floury, le directeur, le costumier, le réceptionniste)

Comptabilité Edmond

Nombre de jours entre la première répétition et la dernière représentation : 190
Nombre d’heures entre la première répétition et la dernière représentation : 4549
Nombre de conflits entre la première répétition et la dernière représentation : 0
Nombre de représentations : 86
Minutes de représentations : 9890
Secondes de représentations : 593400
Battements de cœurs en représentations (à 1000 près) : Tempête
Nombre de battements de cœurs de l’équipe entière : Tsunami
Nombre de fous rires : 513684
Nombre de sourires (en sortie de salle, en coulisses, sur scène) : 98464135168
Nombre de « J’ai passé une bonne soirée » : 166168
Nombre de « J’ai jamais vu une pièce comme celle-là » : 65168
Nombre de « Je suis revenu avec des collègues » : 9513
Nombre de « Je suis revenu en amenant mes enfants » : 174 waouw
Nombre de « Je suis revenu en amenant mes parents » : 9 larmes
Nombre de mètres parcourus en représentations (en mètre) : 3176
Nombre de minutes assises par représentation : 6
Nombre de minutes d’ennuis par représentation : 1
Nombre de fausses notes en chant corse : 7
Nombre d’échardes : 5
Nombre de coups de sonnette chez le réceptionniste : 258
Nombre de bises sur l’ensemble du projet : 3295
Nombre d’huiles essentielles en loge (en litre) : 19
Nombre de paires de chaussures remplacées : 2
Nombre de litres de sueur (en litre) : 7688
Nombre de « Tiens, je ferais bien autre chose ce soir » : 3
Nombre de sortie en « Quel beau métier, Bordel » : 82
Nombre de verres d’après spectacle : TROP
Nombre de non verres d’après spectacle : TROP
Nombre de prononciation du nom « Edmond » (vie comme scène) : 13206898466
Nombre de « Et ça va Edmond ? rooooh faut que je vienne te voir » : 11769
Nombre de « Pourvu que ça ne s’arrête pas le 31 décembre 2019 » dans mon for intérieur : …

Total : T’es débile de faire une compta d’un truc pareil !

TRISTAN SCHOTTE (Edmond Rostand)

Mémoire d’une longue série d’Edmond à la façon Cyranesque !

Prolongé ? Ah non c’est un peu court jeune homme
On aurait pu dire bien des choses en somme
En variant le ton par exemple tenez....
Circonspect : Si vous me permettez de douter,
jouer trois mois de plus me semble un peu tordu.
Aphone : Que nenni je ne me suis pas tu,
ma voix a déraillé et maintenant n’est plus.
Hypocondriaque : que vois-je ? Est-ce de l’humus
Qui coule en rivière de vos naseaux rougeaux ?
Eloignez cette toux de mes fragiles bronches,
Je préfère et de loin la fièvre du plateau,
Aux miasmes de l’hiver qui me pètent la tronche.
Prévoyant : Achetez en quantité des stocks
De propolis, de thym et de ravintsara
Pour repousser les armées de meningocoques
qui tentent de vous assaillir comme des rats.
Dubitatif : Mais êtes-vous bien sûr mon cher,
que la salle soit pleine en ces longs mois d’hiver ?
Ironique : Combien faudra-t’il engager,
de badauds dans la rue, pour enfin espérer
voir les rangées pleines de monde déborder ?
Vénal : Á quels émoluments puis-je aspirer
en voyant à ce point mon contrat prolongé ?
Réaliste : Il vaudra bien mieux tirer un trait
sur sa vie personnelle et ses nombreux attraits,
si vous rêvez d’amour, postposez vos désirs
le théâtre sera votre unique loisir.
Sportif : J’ai fait, je l’avoue, bien des marathons,
mais cette épreuve-là est une course de fond !
Amical : Ménagez votre camaraderie
cette troupe je dis sera votre famille.
L’amour, les sourires, un zeste de fantaisie
Seront les ingrédients pour une bonne ambroisie.
Amnésique : Mémoire tu me joueras des tours,
trop de trous, trop d’oublis et ce sera un four !
Prétentieux : Allons donc ! Quatre mois ? C’est trop peu.
Mettez m’en six de plus, je suis un ambitieux.
Créatif : Mon ami, pour éviter l’ennui,
je dirais non parfois au lieu de dire oui,
je changerai les mots, abaisserai le ton
ferai chanter ma voix, quitterai le veston,
rirai des jeux de mots de mes chers partenaires,
tout ça en respectant la rythmique des vers.
Dégoulinant : Ah non ! Ce ne sont pas les bruines
Qui trempent mes chemises et me réduise en ruine,
Et toutes ces moiteurs, ce torrent de sueur
Naissent de cette course folle de deux heures.
Net : Quatre vingt sept fois, c’est le compte final
Mieux vaut-être précis, n’y voyez aucun mal.
Mwanzaien : Oh que non je ne mâche pas mes mots !
Ces mois feront de nous les plus beaux des facots !
Vaniteux : C’est certain pour toutes ces répliques
Je l’aurai cette année le prix de la critique.