Bonjour Victoire, comme c’est la première fois que les spectateurs du Public te rencontrent, peux-tu nous partager qui tu es ?
Ici, au Public, je suis là dans mon rôle de metteuse en scène. Il y a 11 ans que je travaille dans le monde du théâtre. Pourtant, le théâtre n’était pas mon choix de départ, à la base, je viens du monde de la pub et des médias, un tout autre genre. Le théâtre est venu à moi par hasard et pour ma plus grande joie. Tout a commencé par un formidable coup de pot, comme je suis hispanophone, je me suis retrouvée en stage à Buenos Aires dans un théâtre. Traductrice d’un metteur en scène français venu créer un spectacle là-bas. Une chance folle qui m’a permis dans ce premier projet de me retrouver comme petite main au plus près du metteur en scène pour l’aider à communiquer en traduisant ce qu’il disait. Ce fut une expérience formidable et comme je travaillais déjà depuis plusieurs années, je me suis tout de suite rendu compte que je venais de trouver le monde où je voulais désormais évoluer. Et là, à nouveau, coup de bol extraordinaire, le metteur en scène en question venait du Théâtre du Soleil, en France, où il m’a proposé de le suivre. Vous pensez bien que je n’ai pas hésité longtemps, je l’ai suivi… et je me suis retrouvée à la Cartoucherie avec Ariane Mnouchkine et sa troupe. Magique ! J’ai pu découvrir de l’intérieur comment se passait une création collective dans ce lieu fabuleux. Quand j’ai eu fini, une amie m’a présentée à son professeur de théâtre qui lui, travaillait avec Édouard Baer et la chance continue, je me retrouve dans sa troupe au Théâtre Marigny. Là, pareil, c’est l’émerveillement ! Et une fois encore, les choses se mettent dans le bon ordre pour moi puisque l’assistante à la mise en scène s’en va et j’ai pu la remplacer. Ce fut un moment décisif où j’ai définitivement compris que c’était la mise en scène qui me plaisait et que je voulais faire. À partir de là, j’ai enchaîné une série d’assistanats, je me suis formée auprès de metteureuses en scène et à un moment, je me suis sentie prête, et j’ai sauté le pas. Raisonnablement, quand même puisqu’il s’agissait de monter un spectacle de trente minutes lors du Festival Mises en Capsules, une formidable initiative qui propose au public d’assister à des formes légères et permet aux jeunes de se lancer. C’est vraiment un concept génial, qui donne l’opportunité d’être joué six fois, à Paris, en plein Montmartre. Pour l’occasion, j’avais traduit une pièce argentine que j’ai synthétisée afin qu’elle ne dure qu’une demi-heure, et c’était parti !
Quand on débarque comme ça dans le métier, comment fait-on pour se construire des références ?
Comme petite fille, j’ai toujours adoré faire des spectacles dans ma chambre, mais ce n’est pas du tout ma formation, j’ai étudié dans un tout autre domaine ce qui fait que pour la culture classique, je n’ai que les bases qu’on m’a enseignées à l’école. Et pour être tout à fait honnête, ce ne sont pas ces bases qui m’ont poussée dans le métier. Ce qui m’a attirée et ce qui me passionne maintenant, c’est le goût pour le spectacle vivant. Cette possibilité extraordinaire de partager des émotions en live, ensemble dans une salle, avec des gens qu’on ne connaît pas, la magie sans cesse renouvelée, de la rencontre avec le public, de l’instantané du moment partagé. Même si j’ai eu beaucoup de chance, pour entrer et pour me faire accepter dans le métier, j’y suis aussi arrivée parce que j’ai « vendu » mes capacités de chargée de production et de diffusion et aussi mes aptitudes de communicatrice, toutes ces choses auxquelles mes études de commerce m’avaient préparée, qui m’ont rendue pertinente et qui m’ont permis de m’intégrer et de comprendre et de connaître en profondeur toutes les facettes du métier.
Et qu’en est-il de ta rencontre avec En Attendant Bojangles ?
Quand le livre est sorti en 2016, mon compagnon tombe sur un article. Et il reconnaît l’auteur ! Il éclate de rire : ils étaient en classe ensemble dans un collège de Nantes. Au souvenir du cancre qu’était Olivier Bourdeaut à l’époque, mon mari était épaté. On s’est précipités pour lire ce premier roman hors norme que la presse encensait déjà. Pour ma part, ce fut directement un gros coup de cœur. J’ai trouvé cette histoire tellement touchante et magnifique. Et pas seulement le récit, il est raconté avec des mots sublimes, un style délicat et original. Et en plus, cette trouvaille tombait pile au moment où je cherchais à me lancer dans un projet personnel. J’étais en même temps excitée et tétanisée. Mais voilà, je me suis quand même lancée. J’ai contacté Finitude, la petite maison d’édition qui l’avait publié et, en parallèle, j’ai écrit à l’auteur via des amis de jeunesse de mon mari. Tout le monde m’a poliment remerciée pour ma gentille proposition, mais… les ventes du livre s’étaient envolées et je n’étais pas la seule ! Il a donc fallu que j’étaye ma demande en développant la façon dont je voulais aborder le projet. J’ai planché sur un dossier avec la proposition d’approche et d’adaptation de l’univers et l’idée que je voulais exploiter dans la mise en scène. Et là encore la chance, j’ai été choisie ! Heureusement, je les avais contactés tout au début de l’aventure et à l’époque on n’était que trois à y avoir pensé, après, ils ont été approchés par le cinéma, mais c’est une autre affaire.
Avant d’être la metteuse en scène du spectacle, tu es l’adaptatrice de ce premier roman au succès aussi inattendu que mérité. Comment s’y prend-on pour adapter les 350 pages du livre en 1h15 de spectacle ?
Faire une adaptation, c’est avant tout poser des choix. Il y en a toujours beaucoup plus dans un livre que dans une pièce ou un film. Ici, mon premier choix s’est fait autour des personnages. J’ai décidé de ne garder que le trio de la famille, ce noyau fusionnel et essentiel et d’oublier tous les autres. Ce sont des renoncements très difficiles, comme de décider de ne pas incarner Mademoiselle Superfétatoire, leur grue-animal de compagnie, mais qui reste présente en creux, je vous rassure. J’ai aussi dû supprimer L’Ordure, leur meilleur ami. Mais là aussi, j’ai trouvé le subterfuge pour qu’il puisse être un peu présent :
régulièrement, le fils imite le personnage pour lui permettre de faire des incursions dans le récit. Une autre grande difficulté à laquelle j’ai été confrontée est qu’il s’agit d’un roman très poétique parce qu’il est vu par les yeux de l’enfant qui en est le narrateur. Ce ne fut pas une décision simple, mais, finalement, j’ai décidé de garder ce parti pris qui me semblait incontournable. Dans la pièce, on alterne donc entre de la narration et des périodes de jeux de « l’enfant ». Et, pour équilibrer cette narration externe, j’ai décidé d’en donner aussi une partie au père à qui je fais écrire ses mémoires. On se retrouve alors avec l’alternance des points de vue du fils et du père qui racontent les situations. Au milieu d’eux, il y a la mère, objet de toutes leurs attentions. Elle, n’a que des périodes de jeux, nous, spectateurs assistons à ce qu’elle fait, mais n’avons jamais son point de vue.
C’est la première fois que tu travailles en Belgique, comment se passe ta rencontre avec notre Plat Pays et nos starekes nationales : Tania et Charlie ?
C’est grâce à eux que cette histoire a commencé. Il y a un moment, j’ai assisté à une représentation de Tuyauterie de Philippe Blasband à Paris. J’ai adoré Tania et Charlie que j’ai ensuite revus à Avignon dans Les émotifs anonymes. Encore un grand moment ! D’autant que cette fois, nous avons eu l’occasion de nous rencontrer. Nous avons sympathisé, bien sûr, comment ne pas sympathiser avec eux ? Et, comme j’étais déjà sur le projet Bojangles, les choses se sont enchaînées, ils m’ont proposé de venir à Bruxelles les mettre en scène dans ce couple fantasque. Je ne pouvais pas refuser ! Après, il a fallu compléter la distribution : je partais avec un couple formidable, mais encore fallait-il trouver le bon enfant. Nous avons organisé des auditions et sans l’ombre d’un doute, nous avons choisi Jérémie. La famille existait. On pouvait se lancer dans l’aventure.
Quant à la Belgique, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en profiter, je ne suis que dans les répétitions, mais quand la pièce sera lancée, je compte bien en découvrir plus et en profiter, si, comme on me le dit, elle est à la hauteur des habitants que j’ai déjà rencontrés, je vais l’adorer.
Propos recueillis par Deborah Danblon
Photo © Pascal Rousse
A VOIR : En attendant Bojangles du 22.08 au 09.09.23